Devant la situation à Groupe TVA, qu’il juge « critique », Pierre Karl Péladeau a annoncé jeudi le licenciement de 547 employés, soit près du tiers de l’effectif.

La décision touche 300 personnes à la production interne, 98 liées majoritairement aux activités des stations régionales et 149 dans d’autres secteurs. Ce licenciement collectif survient après l’annonce de la suppression de 140 postes à Groupe TVA en février dernier. Une vingtaine de journalistes temporaires, en région et à Montréal, sont touchés.

« C’est notre responsabilité de sauver TVA », a dit Pierre Karl Péladeau jeudi, lors d’une rencontre en vidéoconférence avec les employés.

Les résultats financiers du troisième trimestre de TVA, présentés jeudi, font état d’un déficit de près de 13 millions pour son secteur télédiffusion pour l’année en cours. Ce déficit était de 1,6 million à pareille date l’année dernière.

La situation déficitaire dans laquelle se trouve TVA n’est plus viable. Ceci témoigne de la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Le modèle d’affaires de la télévision traditionnelle est indéniablement et durablement bouleversé, pour toujours.

Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor

Celui qui est également le grand patron par intérim de Groupe TVA estime que ce bouleversement est dû à la multiplication des plateformes numériques de diffusion (Netflix, Prime Video, Disney+, Apple TV+, Crave, Hulu, etc.), ce qui entraîne une fragmentation de l’audience et des abonnements.

À cela, dit-il, s’ajoutent la concurrence et la surenchère pour l’acquisition des droits sportifs ainsi que l’absorption des revenus publicitaires par les géants du web (Google, YouTube, Facebook, Instagram, TikTok et autres Twitter/X), en plus de ce que Pierre Karl Péladeau appelle la « concurrence déloyale » de Radio-Canada.

Même l’information est affectée, dit-il, par des plateformes qui profitent des contenus journalistiques des médias « sans leur payer une juste part ».

Il affirme que la domination des géants du web a créé une situation déficitaire pour l’ensemble des chaînes traditionnelles privées.

Changements majeurs

Le bilan financier de TVA est ainsi négatif depuis 2021 pour le secteur télé. Groupe TVA a révélé jeudi que sa perte cumulée pour les neuf premiers mois de l’année s’élève à 32 millions, c’est-à-dire quatre fois plus qu’il y a un an.

Des changements majeurs sont donc annoncés dans le but de « préserver les activités ». Un plan axé sur trois mesures a été élaboré : la fin des activités de production interne en contenu de divertissement, la réorganisation du secteur de l’information et l’optimisation du parc immobilier.

La première mesure vise à recentrer TVA sur son rôle de diffuseur en mettant fin aux activités de production interne pour le contenu de divertissement. Les émissions La poule aux œufs d’or, Le tricheur et Vlog seront confiées à des producteurs indépendants externes.

En information, les équipes internes continueront de produire les émissions d’actualité de TVA Nouvelles et de LCN, Salut Bonjour et certaines émissions de TVA Sports. Près d’une centaine de licenciements sont cependant prévus dans le secteur de la production d’information, liées principalement à l’exploitation des antennes régionales.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Bureaux et studios de TVA à Québec

Au moins quatre journalistes par antenne continueront d’alimenter à distance un bulletin régional de 18 minutes en semaine, a précisé la direction. Mais la production et l’enregistrement de bulletins de nouvelles régionales seront entièrement confiés aux équipes de TVA Québec. Ce changement permettra de déménager certains bureaux régionaux dans des locaux plus petits.

« On va continuer la diffusion de nos bulletins de nouvelles tel qu’ils existent aujourd’hui », a assuré M. Péladeau en conférence de presse.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Les anciens locaux du Journal de Montréal, rue Frontenac

Afin de réduire les coûts d’exploitation, toutes les équipes d’information de Groupe TVA et de Québecor seront réunies à la fin de l’été dans les anciens locaux du Journal de Montréal au 4545, rue Frontenac. L’immeuble fait actuellement l’objet de travaux de rénovation majeurs, notamment pour accueillir le studio de l’émission matinale Salut Bonjour. Les équipes du Journal de Montréal, de TVA Nouvelles, de LCN, de Salut Bonjour, de QUB radio, de 24 heures, de TVA Sports et de TVA Publications travailleront tous au même endroit.

TVA et LCN conserveront des équipes de direction distinctes et indépendantes par rapport aux autres médias pour respecter les conditions de licence du CRTC.

Critiques du syndicat

Le Syndicat des employé(e)s de TVA, affilié au Syndicat canadien de la fonction publique, dit avoir été informé par l’employeur 15 minutes avant l’annonce. « C’est épouvantable. C’est de la vie des gens qu’il est question », a déploré le conseiller syndical Steve Bargoné.

PHOTO JESSICA GARNEAU, ARCHIVES LA TRIBUNE

Station TVA de Sherbrooke

Les avis de licenciement collectif envoyés au gouvernement font état de 376 licenciements à Montréal et 59 à Sherbrooke, affirme M. Bargoné.

On a l’impression qu’on paie pour les mauvaises décisions administratives liées à TVA Sports.

Steve Bargoné, conseiller syndical au Syndicat canadien de la fonction publique

Pour expliquer ses difficultés financières en février dernier, la direction de Groupe TVA avait notamment évoqué la baisse de rentabilité de TVA Sports, une chaîne lancée en 2011. TVA Sports a perdu environ 220 millions en 11 ans dans la foulée de la signature en 2013 d’une entente de 12 ans – évaluée à 700 millions – pour devenir le diffuseur francophone officiel de la LNH au pays.

Jeudi, Pierre Karl Péladeau a indiqué que l’intention est de poursuivre les activités de TVA Sports et d’exercer au complet le contrat lié aux droits de diffusion des matchs de la LNH. « Nous avons des obligations contractuelles avec la LNH et nous allons les respecter », a-t-il affirmé. Par la suite, l’avenir sera établi en tenant compte de la négociation entourant ces droits, a-t-il précisé, ajoutant s’attendre à ce que les plateformes numériques s’intéressent à ce marché, comme Apple TV l’a fait en acquérant les droits de diffusion des matchs de soccer de la MLS.

Des logements locatifs dans l’ancien immeuble

Le sort de l’immeuble du 1600, boulevard De Maisonneuve Est, où se trouvent actuellement les studios de TVA, demeure incertain. Québecor a accordé une hypothèque de plusieurs millions sur cet immeuble à Groupe TVA pour l’aider à traverser la crise financière. L’entreprise dit qu’elle souhaite entamer des discussions avec la Ville de Montréal et Québec pour étudier la possibilité de convertir l’immeuble en logements sociaux.

Groupe TVA a commencé l’année avec 1327 employés permanents, dont 43 % syndiqués.

Le syndicat a indiqué qu’il allait contester la légalité du transfert de la production télévisuelle vers des producteurs indépendants, qui est selon lui clairement interdit par la convention collective. « Nous sommes très conscients que la télévision généraliste a un problème, mais nous allons tout faire pour défendre nos membres », a assuré le représentant syndical Steve Bargoné.